Y’a le feu au lac transatlantique …

Cet article est extrait de la lettre hebdomadaire n°9L’Afrique avec les yeux du futur publiée par ce site*.

Annonce de la nouvelle (géo)politique américaine en Afrique


C’est par une diatribe digne de la guerre froide que le conseiller américain à la Sécurité nationale, John Bolton, a présenté cette semaine, devant l’Heritage Foundation (un think-tank néoconservateur), la nouvelle politique africaine des États-Unis, validée par l’administration Trump. Son nom : « Prosper Africa » (pour ne pas dire « Prosper America »! ).


Bien loin de vouloir créer les conditions d’une coopération pour un développement futur du continent, Bolton a consacré l’essentiel de son discours à vilipender les « actions prédatrices » de la Russie et de la Chine en Afrique, y compris contre leurs armées respectives. Il a été jusqu’à les qualifier, dans ce contexte, de « menaces significatives à la sécurité nationale des États-Unis. »

Bolton a d’abord identifié trois priorités américaines dans la région :

1) Renforcer les partenariats d’échanges commerciaux avec le continent
2) Lutter contre terrorisme islamiste radical
3) Veiller à ce que les aides au développement financées par le contribuable américain soient utilisées de manière efficiente.

Mais la priorité numéro un est bel et bien de faire cesser l’expansion de la Chine et de la Russie, a-t-il déclaré : « Les grandes puissances concurrentes, à savoir la Chine et la Russie, sont en train d’étendre de plus en plus rapidement leur influence financière et politique à l’ensemble de l’Afrique. Elles ciblent délibérément et de manière agressive leurs investissements dans la région, afin d’acquérir un avantage concurrentiel par rapport aux États-Unis. La Chine utilise des pots-de-vin, des accords opaques, et, à travers le piège de la dette, les États d’Afrique sont prisonniers (…) des exigences de Pékin. Ces projets d’investissement sont obtenus par la corruption, et ne répondent pas aux mêmes exigences environnementales ou éthiques que les programmes de développement des États-Unis.»

M. Bolton a ensuite attaqué nommément l’Initiative une Ceinture une Route (ICR) (Nouvelles Routes de la soie) : « De telles actions prédatrices sont des sous-éléments d’une politique plus large. Les initiatives stratégiques chinoises dont l’ICR, qui prévoit de développer une série de routes commerciales à destination et en provenance de la Chine, ont pour but ultime de faire progresser la domination chinoise à l’échelle internationale. En Afrique, nous constatons déjà les effets inquiétants de la politique chinoise visant à obtenir plus d’avantages politiques, économiques et militaires. »

Et d’accuser la Chine d’avoir endetté des nations telles que la Zambie et Djibouti afin de prendre le contrôle de leurs économies et d’y installer des bases militaires. Mais la Chine n’a pas été la seule visée : « La Russie, pour sa part, cherche également à accroître son influence dans la région par le biais des pratiques de corruption dans les transactions économiques. Sur l’ensemble du continent, la Russie fait progresser ses positions politiques et économiques sans respect pour les règles internationales ni transparence et responsabilité dans les politiques de gouvernance. La Russie continue de vendre des armes et de l’énergie en échange de votes aux Nations Unies, maintenant des hommes autoritaires au pouvoir, sapant ainsi la paix et la sécurité, contre l’intérêt supérieur de la population africaine. Enfin elle continue à extraire des ressources naturelles sur le continent pour son propre intérêt ».

« Bref, conclut Bolton, les pratiques prédatrices de la Chine et de la Russie freinent la croissance économique en Afrique ; menacent l’indépendance économique des pays africains ; entravent les possibilités d’investissement des États-Unis ; interfèrent dans les opérations militaires américaines et posent une menace importante aux intérêts de la sécurité nationale américaine. »

Au sujet des financements apportés par les États-Unis en Afrique, Bolton a affirmé : « Les États-Unis n’apporteront plus d’assistance aveugle au continent sans (…) hiérarchiser leurs priorités. Nous n’appuierons plus les projets improductifs et infructueux de missions de maintien de la paix de
L’Afrique avec les yeux du futur – n° 9 – 18 décembre 2018 – 3
l’ONU. Nous exigeons bien plus pour l’argent durement gagné par les contribuables américains. » Et comble de l’ironie, après avoir accusé la Russie d’acheter des votes à l’ONU, voilà que le conseiller américain annonce que « les pays qui votent à plusieurs reprises contre les États-Unis dans les votes internationaux ou prennent des mesures contraires aux intérêts des États-Unis ne recevront pas l’aide généreuse de l’Amérique (…) » !

La réponse chinoise ne s’est pas faite attendre. Par des propos plutôt mesurés, M. Lu Kang, ministre de l’Ambassade de Chine aux États-Unis, a déclaré : « Ce qui compte pour la Chine, ce sont les besoins des pays africains tels que l’industrialisation et la modernisation de l’agriculture. En revanche il est intéressant de constater, à travers les remarques de certains Américains, que les États-Unis sont plus préoccupés par la Chine et la Russie que par l’Afrique (…) En attendant, la coopération avec l’Afrique doit se faire en fonction de sa volonté et de ses besoins, et sans contrainte politique ni ingérence dans les affaires internes des pays. »

Selon Xinhua « Lu a rappelé qu’au cours de l’année 2018 à Beijing lors du Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) et lors des débats de la 73e session de l’Assemblée générale des Nations Unies, de nombreux dirigeants africains ont exprimé le désir de leurs pays de se développer et ont signifié qu’ils appréciaient le soutien de la Chine dans ce but. Instaurer la paix et le développement en Afrique relève de la responsabilité de la communauté internationale. La Chine a toujours adopté une attitude d’ouverture concernant les actions internationales en Afrique et elle pense que les investissements de toutes les parties du monde dans ce processus, sur une base de respect, sont les bienvenues. »

Il est important de noter dans ce contexte la sortie ce 18 décembre sur ARTE d’un reportage à charge contre la Chine et les Nouvelles Routes de la soie, notamment en Afrique : Le monde selon Xi Jinping. Dans ce documentaire réalisé par Sophie Lepault, les « experts » qui témoignent sont étonnamment issus de la CIA, d’Oxford et des réseaux néoconservateurs occidentaux !


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