LA COVID-19 ET NECESSITE D’UNE REFORME FISCALE AU CAMEROUN

Le 05 novembre 2020, par Fred EKA, Docteur à l’ Université de Pau et des Pays de l’Adour(France), Email : ekafred@gmail.com. Enseignant-Chercheur à l’Université de Douala,Faculté de Sciences Economiques et de Gestion Appliquée. Groupe de Recherche en Economie et Gestion (GREG).


La faible capacité fiscale des pays d’AfSS de 20% de 2000 à 2018 ne leur permet pas de mobiliser suffisamment de richesses afin de dynamiseur leur politique de développement. La crise sanitaire est une opportunité à saisir pour ces pays, de faire des réformes dans le but de renforcer leur solidité budgétaire. Selon la CEA (2020), le ratio moyen pondéré impôts/PIB de l’Afrique qui se situe à 17% au cours de la même période, n’a pas beaucoup évolué. Il a même plutôt chuté de plus de cinq points entre 2006 et 2018 comme le montre le graphique ci-dessous

Graphique. Ratio Impôt/PIB de 2000 à 2018 des pays d’AfSS

Source : Statistiques des recettes publiques en Afrique 2018.

Cependant, le nombre de pays dont le ratio était inférieur à 15% du PIB a diminué de plus de la moitié entre 2000 et 2016 (de 31 à 14), tandis que l’effectif de ceux dont ledit coefficient est supérieur à 20% est passé de 8 à 11 (CEA, 2020). Le déficit s’explique par une mauvaise législation, des politiques fiscales généreuses en termes d’exonérations, du taux d’imposition, mais aussi d’autres niches fiscales et enfin des défaillances de l’administration. De ce fait, l’écart fiscal qui se dégage est de 3% du PIB. S’agissant des pays d’AfSS, l’écart varie entre 3% et 9% (CEA, 2020).

1.1 – L’insécurité au NOSO1, un obstacle à la productivité de l’impôt

Depuis 2014, le Cameroun est confronté à des défis sécuritaires du fait du terrorisme islamique de de la secte Boko Haram, des troubles socio-politiques. Ces crises aboutissent souvent à la destruction des outils de production des entreprises comme la Société Nationale de Raffinerie (SONARA), première du pays en termes de chiffre d’affaires est en arrêt d’activités à cause d’un incendie ; la Cameroon Development Corporation (CDC), deuxième employeur après l’Etat est sous assistance respiratoire ; la Cameroon Tea Estate (CTE), la Sodecoton et la PAMOL Plantations en souffrance. Les conséquences économiques sont très lourdes en termes de pertes de productivité, d’emplois directs et indirects ainsi que des recettes fiscales. D’ailleurs, un sondage effectué auprès de 100 entreprises du 13 au 21 avril 2020 par le GICAM (2020) relève que :

-92% des entreprises ont déclaré que la pandémie de la Covid-19 a un impact très négatif (52%) ou négatif (40%) sur leurs activités, les PME et les entreprises de services étant les plus affectées ;

-87% des entreprises ont procédé à des mises au chômage ou à des réductions d’effectifs ;

-83% des entreprises ont reporté leurs investissements ;

-77% des entreprises indiquent que leur chiffre d’affaires hors taxes est en baisse en mars 2020 par rapport au même mois de l’année 2019 ;

-53% des entreprises indiquent que leurs unités de production ne pourront pas tenir au-delà de trois mois (GICAM, 2020).

Les annonces faites par le gouvernement camerounais, le 30 avril 2020 pour soulager les ménages et entreprises ont fait ressortir que, les recettes fiscales ont été diminuées de 20%2. Ce qui a fortement réduit la possibilité de poursuivre la réalisation des projets de développement.

Par ailleurs,les recettes fiscales du Cameroun proviennent essentiellement de la rente des produits primaires (pétrole3, gaz naturel, charbon, forêt, étain, or, plomb, cuivre, nickel, bauxite, argent, phosphate, coltan, cobalt, uranium, etc.). Le Cameroun reste exposer à uneforte correction de la demande chinoise ou à un retour à la baisse du prix des matières premières, en particulier les métaux.

1.2 – Prééminence des impôts indirects et la fiscalité extérieure

Au Cameroun, les recettes des droits perçus (droits et taxes à l’importation, droits et taxes à l’exportation et autres impôts sur le commerce extérieur, droits d’accise, TVA) se sont élevés à près de 815 milliards de F CFA, soit 32% des recettes fiscales. Il semble évident que la crise sanitaire aura un impact négatif sur les recettes procurées par les droits de douane.

La prédominance du secteur informel, l’évitement de l’impôt par les EMN et la concurrence fiscale déloyale, obligent le Cameroun à aggraver ou à consolider ce déséquilibre. Ce qui explique que ce soit sur la taxation de la consommation que les dirigeants répercutent le déficit fiscale résultant de la baisse des taux d’imposition de même que de la difficulté à fiscaliser l’économie camerounaise. Depuis lors, les réformes fiscales tournent principalement autour des impôts indirects, confortant ainsi leur addiction aux prélèvements sur les biens et services, ainsi que la mauvaise répartition du fardeau fiscal. Enfin, les recettes fiscales qui ont été négativement impactées se rapportent aux impôts et taxes indirects sus cités4.

2 – Opportunité d’une réforme fiscale camerounaise

La fiscalité camerounaise n’a pas encore abouti à la convergence des niveaux d’imposition et des structures fiscales observée dans d’autres pays et/ou régions du monde. Pour lutter contre les conséquences économiques et sociales du fait de la pandémie sanitaire, les autorités camerounaises doivent opter pour une mobilisation optimale des recettes fiscales.

2.1 – L’élargissement de l’assiette fiscale

Elargir l’assiette de l’impôt revient à prendre des mesures permettant d’assujettir le plus grand nombre de citoyens, et faire rentrer tous les revenus acquis et toutes les opérations réalisées par ces derniers grâce à l’impôt (Ndzana Biloa, 2018). Cet élargissement se fait par :

  • Le remplacement de prélèvements non productifs et économiquement inefficaces par de nouveaux impôts5 ;
  • La création de nouvelles taxes en vue de la couverture de nouvelles charges ;
  • L’extension d’un ou des impôts existants sur d’autres matières ou opérations ;
  • L’uniformisation des niches fiscales ;
  • Le renforcement des capacités de l’administration fiscale par la réorganisation des services, le développement du renseignement fiscal, le renforcement du fichier des contribuables, la refonte des régimes et seuils d’imposition afin de les rationaliser, etc.

Il faut accorder une attention particulière à l’élargissement de l’assiette fiscale au Cameroun. Toutefois, si les performances des administrations fiscales sont moindres que la capacité fiscale, cela s’explique aussi que c’est difficilement applicable dans les faits.

D’après une étude intitulé Optimisation du potentiel fiscal du Cameroun, premier levier pour réussir le décollage dans le cadre de la seconde phase de la Vision 2035, il s’en suit que : « sur les six principaux impôts et taxes (…) les mesures de rétrécissement de l’assiette fiscale l’emportent sur celles d’élargissement de l’assiette sur cinq des six impôts. Tandis que les niches fiscales ont été plutôt multipliées au lieu d’être rabotées. Quand on y ajoute les mesures fiscales incitatives contenues dans d’autres textes adoptés sur la même période et qui se traduisent également par la réduction de cette assiette6, on constate un dérapage de la politique fiscale qui est sortie de son principal axe, l’élargissement de l’assiette » (CAMERCAP, 2019).

La mobilisation optimale des recettes budgétaires principalement au Cameroun doit se faire par l’élargissement de l’assiette à travers la rationalisation de la dépense fiscale, une réduction significative des niches fiscales et le renforcement des capacités des administrations.

2.2 –La réforme du système fiscal international

Les flux financiers illicites en Afrique sont en très grande partie entretenus par la fraude et l’évasion fiscale (CEA, 2011). Avec une perte annuelle de recettes fiscales évaluée à 1% du PIB, l’Afrique est la région du monde la plus affectée par l’évasion fiscale internationale illustrée par les EMN dans les paradis fiscaux (Zucman, 2017). Et la plupart des multinationales qui opèrent en Afrique sont soit européennes, américaines ou asiatiques (Ndzana Biloa, 2018). Elles exploitent tous les instruments pernicieux de l’évasion fiscale pour transférer indirectement les bénéfices des pays africains dans lesquels la valeur ajoutée est créée, vers les territoires à fiscalité insignifiante et où elles n’ont pas d’activités substantielles7.

L’une des critiques adressées à l’OCDE est que les pays d’AfSS, qui sont plus affectés par l’érosion de la base d’imposition et les transferts de bénéfices, n’ont pas participé aux travaux contrairement à, d’autres considérées comme des paradis fiscaux par plusieurs Etats et institutions. Or, face aux effets négatifs des règles et pratiques fiscales des EMN et d’autres Etats, les pays d’AfSS sont plus vulnérables et leurs administrations fiscales sont dépourvues de moyens. De ce fait, un cadre dit « inclusif » a été créé au sein de l’OCDE pour faciliter les négociations en vue de la réforme de la fiscalité internationale malgré que seuls 24 pays africains sont membres.

Le fait que l’Afrique, région du monde la plus affectée par l’évasion fiscale internationale, soit aussi sous représentée et que les autorités politiques ne s’impliquent pas individuellement et collectivement dans les négociations en cours montre que les dirigeants ne sont pas à la hauteur des enjeux. D’ailleurs, José Antonio OCAMPO8 précise que, « si les chefs d’Etats et ministres des finances des pays d’Afrique continuent à abandonner à des experts les débats sur la taxation des multinationales, sans comprendre qu’il s’agit d’une question politique, et non technique, ils se verront bientôt contraints d’accepter un système fiscal international qui ne leur conviendra pas. Les gagnants de toujours seront les mêmes, et il sera alors trop tard pour protester ».

Et donc, l’imposition optimale des entreprises multinationales doit être une priorité fiscale des pays africains et principalement du Cameroun.

Conclusion

Le manque à gagner fiscal pour les PED représenterait entre 6 et 13 % de leurs recettes fiscales, contre 2 à 3 % pour les pays de l’OCDE. Et donc, une fois de plus, les pays pauvres subissent la double peine de ce système d’évasion fiscale généralisée. Ainsi si l’Afrique pouvait recouvrir ne serait-ce que 40 milliards par an, elle pourrait donc bâtir chaque année 2400 écoles primaires de 20 élèves par classe ou 200 grands hôpitaux (Perimony, 2020).

Les principaux effets économiques de la crise sanitaire au Cameroun se font de plus en plus ressentir. D’ailleurs, la crise du pétrole est plus marquée. Si les projections du second semestre demeurent inchangées, les programmes budgétaires devraient s’ajuster. Les recettes pétrolières vont considérablement chuter au Cameroun et affecte fortement le budget de l’Etat à travers la fiscalité pétrolière. S’agissant des recettes non pétrolières, elles dépendent du transport international, de la mobilité des agents, du comportement de l’Etat envers les arriérés de paiement et, enfin de l’extension pandémie au Cameroun et son impact sur la collecte des impôts et taxes intérieurs, directs et indirects.

Les systèmes fiscaux au Cameroun sont affectés par des comorbidités qui sont à l’origine de leur fébrilité budgétaire. Cette situation se traduit par la faiblesse de la capacité fiscale et du ratio impôts/PIB. Les autres facteurs sont liés à l’insécurité qui sape la productivité de l’impôt, des structures fiscales déséquilibrées avec une prépondérance des impôts indirects et une part importante de la fiscalité extérieure.

Du fait de la crise sanitaire, le Cameroun a connu plusieurs difficultés budgétaires notamment la hausse des déficits qui l’a contraint à recourir à l’aide et à augmenter les encours d’emprunts. Pour y faire face, une opportunité fiscale se présente avec notamment la diversification des économies, l’élargissement réel de l’assiette fiscale, et l’implication des dirigeants dans les négociations en cours pour contraindre les multinationales à payer massivement les impôts locaux. Tous ces efforts auront pour objectif d’améliorer la capacité fiscale et le rendement de l’impôt.

En définitive, comme le précise le rapport de la CNUCED (2020),« La théorie du choix rationnel explique qu’un agent prendra le risque de recourir à l’évasion fiscale si l’utilité du non-paiement de l’impôt, à savoir le gain attendu en termes de revenu, l’emporte sur le coût de la sanction encourue au cas où il se ferait prendre ».

Reférences bibliographiques sélectives

Alain Symphorien NDZANA BILOA, Sauvons l’impôt pour préserver l’Etat, Paris, Editions du Panthéon, janvier 2018.

CAMERCAP-PARC (2019), Optimisation du potentiel fiscal du Cameroun, premier levier pour réussir le décollage dans le cadre de la seconde phase de la Vision 2035, décembre.

Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique (2020), Le Covid-19 en Afrique. Sauver des vies et l’économie, Addis-Abeba.

Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique (2019), Rapport économique sur l’Afrique 2019 : La politique budgétaire au service du développement durable, Addis-Abeba.

CNUCED (2020), Rapport sur le développement économique en Afrique : « Les flux financiers illicites et le développement durable en Afrique », New-York. Télécharger ici : https://unctad.org/fr/system/files/official-document/aldcafrica2020_fr.pdf

Conseil d’Analyse Economique (2019), Fiscalité internationale des entreprises : quelles réformes pour quels effets, Les notes du Conseil d’Analyse Economique n°54, novembre.

Gabriel ZUCMAN (2017), La richesse cachée des nations. Enquête sur les paradis fiscaux. Les leçons des panama papers, Editions du Seuil, Collection La République des idées, Nouvelle édition revue et augmentée, octobre.

GICAM (2020), Covid-19, impact sur les entreprises au Cameroun, avril.

Pierre BELTRAME (1975), Les systèmes fiscaux, Presses Universitaires de France, Collection Que-sais-je ? Paris.

Sebastien PERIMONY (2020), « Evasion fiscale, blanchimment : ce que l’Afrique perd vraiment », Paris.

Union Africaine (2020), Déclaration conjointe du Président de la Conférence de l’Union Africaine, le Leader Pour la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine et le Président de la Commission de l’Union Africaine, à l’occasion de la commémoration de la journée de l’Intégration Africaine, Addis-Abeba, le 07 juillet.

1 Nord-ouest et sud-ouest Cameroun

2 Ordonnance n°2020/001 du 03 juin 2020, modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n°2019/023 du 24 décembre 2019 portant loi de finances de la République du Cameroun pour l’exercice 2020

3 La crise du Covid-19 à elle seule a provoqué une chute historique du cours du pétrole. Le lundi 20 avril 2020, le cours du baril a chuté en dessous de zéro, cours le plus bas depuis 1986

4 Il ressort de l’exploitation de l’Ordonnance n°2020/001 du 03 juin 2020, modifiant et complétant certaines dispositions de la loi n°2019/023 du 24 décembre 2019 portant loi de finances de la République du Cameroun pour l’exercice 2020, que les prévisions des recettes des impôts indirects sont passées de deux milliards cent millions à un milliard six cent dix-huit millions de Fcfa, soit une chute de 23%

5 De nombreuses réformes fiscales réalisées par les pays africains depuis les années 2000 ont porté sur l’introduction de la TVA : en 2001, le Rwanda a remplacé la taxe sur les ventes de 15% par une TVA de 15% ; le Botswana a introduit une TVA de 10% en avril 2002 ; en 2003, le Lesotho a remplacé la taxe sur les ventes par la TVA afin de mettre un terme à l’utilisation abusive des certificats d’exonération fiscale ; la même année, l’Egypte a remplacé sa taxe sur les biens et services de 10% par une TVA 13%

6 Loi n°2012/006 du 19 avril 2012 portant code gazier ; loi n°2013/004 du 18 avril 2013 fixant les incitations à l’investissement privé au Cameroun et ses textes d’applications ; loi n°2013/011 du 16 décembre 2013 régissant les zones économiques ; loi n°2016/017 du 14 décembre 2016 portant code minier du Cameroun

7 La deuxième édition des statistiques de l’OCDE sur l’Impôt sur les sociétés, publiée le mercredi 08 juillet 2020 confirme « un décalage entre le lieu où sont déclarés les bénéfices et le lieu où sont exercées les activités économiques, la part des bénéfices déclarés par les entreprises multinationales dans les centres d’investissement étant relativement élevée comparée à leurs effectifs et à leurs actifs corporels ».

8 co-directeur de la Banque Centrale de Colombie et président de la commission indépendante pour la réforme de la fiscalité internationale des sociétés

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