Voeux 2023 : Combat, Histoire et Espérance

Pour l’avenir de l’Afrique, pour l’honneur de la France
Sébastien Périmony, le 3 janvier 2023

COMBAT, HISTOIRE, ESPÉRANCE


Chers amis, chères amies,

Chacun le sait, chacun le sent. Les mois qui viennent vont être agités, douloureux, décisifs. Chacun sera mis face à ses certitudes, face à ses limites. Mais de tous ces remous, de tous ces tourments… des espérances nouvelles, des pensées optimistes, des perspectives d’avenir jailliront-elles enfin ?

Nous sommes à la croisée des chemins ; tout dépend de ce que chacun de nous, qui composons cette humanité, ferons. Ou pas.

Pour préparer le futur, il faut mettre fin aux errements du passé. Pour atteindre l’objectif, il faut lever les obstacles. Parmi eux : l’impérialisme et le malthusianisme.

L’avenir du continent africain, le rêve africain – qui ne sont autres que l’idéal profond de justice et de vérité de l’humanité – , ne pourront se réaliser qu’une fois ces idéologies nauséabondes évincées. Évincées non seulement des projets de nos dirigeants ; mais aussi des cultures, des pensées de nos « dirigés ».

Quoi ? Nous pourrions un jour entrevoir la fin de l’impérialisme, du matérialisme, du cynisme occidentaux ? La fin de ce qui façonna le monde depuis des siècles, fomenta tant de guerres, de génocides, de lâchetés, de crimes contre l’humanité ? S’il est difficile de l’affirmer, on peut au moins percevoir une chose : de plus en plus nombreux sont les éclairs de raison qui percent l’épais brouillard que nous traversons. Ces fulgurances sont d’abord apparues dans le peuple, parmi les rangs obstinés des manifestants, parmi les citoyens voulant s’éclairer, parmi les posts internet circulant de plus en plus massivement. Oui, de ce côté, la marche de l’Histoire est déjà entamée. Mais parmi les élites aussi, des voix discordantes commencent à percer l’assourdissant brouhaha bien-pensant. En témoignent les étonnants articles de presse cités ci-après.

Et, si aucune conversion sur le chemin de Damas ne se profile à l’horizon parmi les dirigeants d’Occident, peut-être pourra-t-on compter sur une autre alliée : l’inexorabilité. N’avez-vous pas remarqué que plus les oligarques avancent, courent, sûrs d’eux-mêmes, suffisants, sur le chemin de la gloire et de la préservation de leur pouvoir, plus leurs pas titubent, se heurtent aux obstacles, les précipitent irrémédiablement vers la chute ? Laquelle hâte encore plus le réveil des peuples et donc la possibilité d’un changement…

Il n’est jamais inutile de se rappeler les mots du poète allemand Olderlin au XVIIIe s. (un autre siècle de bouleversements et de révolutions) : « Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve ». Et, ceux, prononcés trois siècles avant lui par un autre allemand, philosophe, théologien et scientifique, Nicolas de Cuse, à l’aube de la Renaissance : la vérité se révèle toujours dans « la coïncidence des opposés »…

Impérialisme en crise

D’abord, le 18 août 2022, le journal de l’élite française l’Express se résolvait à publier un article de quatre pages intitulé : « Comment la France a perdu pied en Afrique » (1). Parmi les débâcles évoquées, la fin de l’opération Barkhane au Mali. Ou, pour être plus précis, la mise à la porte des forces françaises par la transition malienne au pouvoir… Dernier fracas en date ; dernière grosse pierre tombée à terre, du vieil édifice croulant qu’est la Françafrique.

Et pour relever l’ironie tragique de cette triste histoire, rappelons encore qu’en 2013, lorsque Bamako demanda à Paris d’intervenir pour l’aider à contrer l’avancée des djihadistes, le président français d’alors fut reçu avec tous les honneurs. Certains Africains allaient même appeler leurs nouveaux-nés Hollande, en mémoire du « héros » français venu les sauver.

Or, si l’intervention était légitime au départ au regard de la situation critique du Mali, la suite lui a donné tort. En lieu et place d’une reconquête de la liberté, c’est une reconquête de leur territoire par les terroristes que les Maliens ont gagné (ainsi que les soldats français y ayant laissé leur vie). Avec, à la clé, une recrudescence des attentats et une expansion des réseaux terroristes dans toute la région du Sahel, jusqu’au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire.

Si certains affirmaient au départ qu’avec seulement 3 milliards d’euros et une lutte totale, pleine et entière contre le terrorisme, la victoire était possible, force est de constater que ce n’est pas le choix qui a été fait. D’asymétrique, la guerre est devenue d’usure, puis d’enlisement. Comme celle du Vietnam en son temps ou d’Afghanistan récemment. L’exemple américain n’est décidément pas gagnant ! On notera le paradoxe suivant : lorsque la guerre s’est déclenchée en Ukraine, les milliards sont, eux, bien arrivés dans les caisses de l’occupé. Même le risque d’un conflit nucléaire généralisé n’a pas fait hésiter les dirigeants français ! Deux poids, deux mesures.

Autre signe de débâcle : depuis les années 2000 – lesquelles correspondent à l’accélération de la multi-polarisation du monde et au premier forum de coopération sino-africain – les entreprises françaises ont perdu la moitié de leurs parts de marché sur le continent africain. Et depuis les années 2010, les investissements directs à l’étranger venant de France en Afrique ont chuté de 20 %. Cerise sur le gâteau : des pays comme le Rwanda, le Togo et le Gabon, de dépit, ont carrément rejoint le Commonwealth – autre nom de l’Empire britannique moderne, depuis renommé « Global Britain ». Rappelons-nous aussi cette phrase de 2007 à Dakar, de l’ancien président Sarkozy, restée depuis (et on ne le comprend que trop bien), en travers de la gorge des intéressés : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ». Avec Sarkozy, nous croyions être parvenus au faîte de l’arrogance et de la stupidité françaises…

Mais c’était sans compter la suffisance de la présidence Macron. Récemment en visite en Algérie pour essayer de réparer les pots qu’il avait lui même (re)cassés – ayant exprimé son doute sur le fait qu’il puisse exister une « nation algérienne avant la colonisation » (sic !) – , l’actuel président français vient non seulement de rentrer avec de maigres et vagues perspectives gazières, mais a dû essuyer les huées des habitants à Oran et remonter dans son avion à Alger sur l’air du chant patriotique du FLN !

Non, Paris n’est plus ni respectée par les Algériens ni le partenaire privilégié d’Alger. Si la France détient là-bas aujourd’hui 10 % des parts de marché, elle y a été supplantée par la Chine, avec 16 %. Et dans le classement international, nous sommes tombés au 9e rang des partenaires jugés « les plus bénéfiques » pour l’ensemble du continent !

Tels sont les revers du mépris – ou au « mieux », de la condescendance. Emmanuel Macron s’est également rendu au Cameroun. Mais pas pour s’excuser des erreurs du passé et/ou proposer un nouveau partenariat gagnant-gagnant, non : pour tenter de se (re)positionner depuis qu’en avril dernier, les ministres de la Défense russe et camerounais ont signé un accord militaire de coopération ! Une claque de plus après la débandade en Centrafrique au profit de la Russie – et les opérations de communication (ou de propagande ?) désespérées contre le groupe Wagner. Moscou est quant à elle devenue en quelques années le premier fournisseur d’armes du continent, à hauteur de 44 % de parts de marché.

Mais selon L’Express : « L’Hexagone autrefois dominant, c’est aujourd’hui la Chine le patron. Premier fournisseur de marchandises dans une trentaine d’États, l’Empire du milieu est aussi le chef de chantier du continent : il construit à tout va (…). Parmi ces contrats figurent le grand théâtre national de Dakar, le port en eau profonde de Kribi (Cameroun), l’autoroute vers l’aéroport de Nairobi (Kenya) ou l’Iconic Tower (394 mètres). En cours de construction à 45 kilomètres du Caire, celle-ci deviendra le plus haut gratte-ciel d’Afrique. »

Alors, qu’a donc fait la France depuis les années 1960 ? A quoi ont servi les centaines de milliards d’euros déversés dans le cadre de l’Aide Publique au Développement (APD) (2) ? Sans entrer dans le détail de ce qui est devenu une vaste arnaque au profit des cartels industriels européens (3), il est intéressant d’apprendre (dans la tribune de François Asselineau intitulée « La France va-t-elle être évincée de l’Afrique ? » (4)) qu’avec l’élargissement de l’UE de 12 pays à 28, si les versements de la France à la Commission européenne ont considérablement augmenté, c’est au détriment de l’APD à destination des pays les plus pauvres. Ainsi en 2020, parmi les 12 milliards d’APD consacrés par la France aux pays en développement, 19 % ont immédiatement été captés par la Commission européenne dans le cadre de l’Aide européenne au développement. Seuls 8 milliards ont donc relevé de l’aide bilatérale, dont 3,6 pour le continent africain et 2,9 pour l’Afrique subsaharienne. Or comme la contribution nette de la France au budget de l’UE est de 12 milliards, elle octroie 4,2 fois plus de fonds aux 17 États européens qu’aux 24 pays d’Afrique inclus dans l’APD, pourtant plus dans le besoin !

Crise du malthusianisme

L’Express, c’est cette même presse française qui vient de pointer son doigt accusateur sur un autre fléau : le malthusianisme et son idéologie criminelle. Il a en effet consacré tout un article à Paul Ehrlich. Que se passe-t-il donc à la direction du journal ?

Alors, qui est Paul Ehrlich ? Celui qui renouvela la pensée malthusienne dans les années 1970, inaugurant une nouvelle ère de peur démographique. Annonçant des famines gigantesques de plusieurs centaines de millions de personnes en raison, selon lui, de l’augmentation de la population, il fit partie, avec le Club de Rome, de ceux qui dévièrent l’imaginaire populaire, le faisant passer d’un optimisme pour le progrès à un pessimisme mortifère et une peur collective des êtres humains.

Tout partit de son livre La bombre P (P pour Population), paru en 1968. L’ouvrage reprenait les cyniques thèses pseudo-scientifiques de l’économiste anglais Thomas Malthus, dont l’Empire britannique, avec non moins de cynisme, s’était servi pour maintenir sa main-mise économique sur le monde deux siècles avant.

Ainsi peut-on lire dans L’Express : « A la fin du XVIIIe siècle, l’économiste anglais assurait que la contradiction entre une croissance démographique qu’il jugeait exponentielle et des ressources alimentaires limitées condamnait l’humanité à des catastrophes perpétuelles, sauf à réguler les naissances. Malthus a rapidement été démenti par la révolution agricole. »

Malthus en sont temps suggérait la chose suivante : « Plutôt que de recommander la propreté aux pauvres, (…) nous devrions construire les rues plus étroites, loger plus de gens dans les maisons, et aider au retour de la peste (…) » Rien que ça !

Pourtant Ehrlich proposa au XXe siècle d’aller encore plus loin. Il imagina la diffusion de produit stérilisants dans l’eau courante et les aliments de base. Et dans son noir engouement, il poussa le vice jusqu’à médiatiser sa propre vasectomie. L’Express précise même qu’en voyage en Inde dans ce qu’il allait lui-même appeler « une nuit chaude et puante à Dehli », Ehrlich demanda à imposer la vasectomie à tous les Indiens ayant déjà plus de trois enfants… plus un triage de l’aide alimentaire, afin de laisser plus rapidement les plus désespérés mourir de faim ! C’est aussi lui qui lança la campagne pour une croissance zéro de la population en 1977… afin d’éviter le grand remplacement des Américains par les Mexicains !

Ehrlich a toujours eu ses adeptes en France, dont le premier, René Dumont, fut candidat à la présidentielle en 1974. Toujours selon le journal L’Express : « Dans L’Utopie ou la mort (1973), convaincu que le tiers monde est condamné à la misère perpétuelle, [Dumont] évoque aussi des mesures autoritaires, de l’avortement obligatoire à la mise en place de quotas de naissances. » Choquant certes, mais toujours d’actualité. N’a-t-on pas entendu l’ancien président français Nicolas Sarkozy (encore lui !) appeler en 2016 à ce que « la communauté internationale prenne en main le premier problème de la planète, qui est celui de la démographie mondiale » et dire que « la réalité de l’Afrique, c’est une démographie trop forte pour une croissance économique trop faible » ? Une croissance économique trop faible : à qui donc la faute ?? Et n’a-t-on pas entendu Emmanuel Macron (toujours lui !), en visite au Nigeria en 2018, déclarer : « Quand vous êtes un pays pauvre où vous laissez la démographie galopante, vous avez sept ou huit enfants par femme, vous ne sortez jamais de la pauvreté » ? Enfin, n’a-t-on pas déjà rencontré dans le journal Le Monde (5) des propos de même nature, tels cette citation de Dennis Meadows, physicien et coauteur du rapport du Club de Rome Les limites à la croissance : « Il faut mettre fin à la croissance incontrôlée, le cancer de la société » ?

Le problème n’est pas la surpopulation, mais le sous développement (lequel est savamment organisé). Et c’est bien ce que ce masque idéologique des plus hideux qu’est la malthusianisme tente de cacher. Un malthusianisme qui a été démenti par l’Histoire et par la Nature elles-mêmes, comme le montre notamment le YouTubeur Benoît Odille, dans l’une de ses passionnantes vidéos : La croissance infinie : ça ne va pas plaire aux collapsologues, que nous ne pouvons que vous recommander : https://www.youtube.com/watch?v=9cazm0313p8 ).

« Myope sur le progrès humain, il avait vu juste sur le réchauffement climatique » nous dit L’Express à propos de Paul Ehrlich. Mais qui nous dit qu’un jour, ce même journal n’écrira pas dans ses colonnes que sur cette question aussi, le théoricien eut également tort ? Un « erratum » que la chaîne française Arte a déjà effleuré, avec son reportage : La face cachée des énergies vertes. A ce titre, nous vous invitons à visionner cette autre vidéo de Benoît Odille : La guerre contre le carbone : coûteuse, inefficace, criminelle ( https://www.youtube.com/watch?v=-PxESQ1WsrY ), qui démonte, chiffres à l’appui, un second masque souriant mis par dessus le masque hideux du malthusianisme : la bien-pensance écologique. Et avec elle, l’hypocrite et dangereuse impasse que constitue la solution proposée, le développement dit « durable ».

Alors, si après le visionnage de la série vidéo de Benoît Odille (intitulée Faut vraiment que vous compreniez), vous trouvez moins difficile d’être optimisme qu’avant, c’est bon signe. C’est que votre vraie nature d’être humain, celle que l’on vous a volée depuis les années 1970, est en train de revenir. Alors, dans ce cas, ne lâchez rien. Courage ! Si on l’aide, l’Histoire va reprendre ses droits.

DÉCOLONISER L’HISTOIRE POUR BÂTIR NOTRE FUTUR COMMUN

« Le domaine de l’histoire est vaste et fécond : il embrasse tout le monde moral. (…) Il est une vocation qui vous est commune à tous tant que vous êtes, que vous avez apportée au monde en naissant, c’est celle de vous développer et de vous former comme Hommes, et c’est à l’Homme que parle l’Histoire. »
Qu’est ce que l’histoire universelle et pourquoi l’étudie-t-on ? Friedrich Schiller, poète, dramaturge, historien et philosophe allemand, 1759-1805.

Lorsque l’auteur de cette article avait présenté son hommage à Louise Marie Diop Maes (1926-2016) en 2018 (6), il ne pensait pas que le débat auquel il touchait serait aussi animé. Qui fut donc Louise Marie Diope Maes ? Professeur certifié d’histoire et de géographie et docteur d’État en géographie humaine, elle fut la femme (française) de l’un des plus grands hommes politiques et savants du XXe siècle : le sénégalais Cheikh Anta Diop (1923-1986). Les deux intellectuels se marièrent en 1953 et furent à l’origine de nombreuses découvertes, dans des champs aussi divers que l’histoire universelle, la linguistique ou la science.

Lors de notre conférence en 2018, nous avions présenté une partie des découvertes de Cheikh Anta Diop portant sur l’histoire de la civilisation africaine, et plus particulièrement sur l’Égypte des « pharaons noirs ». La vidéo de cette conférence rencontra un succès fulgurant. A ce jour, elle a été visitée par plus de 3 millions de personnes sur Facebook. Pourquoi un tel engouement ? Car avec cet hommage rendu à Madame Diop, se réveillait un douloureux souvenir qui, non content de torturer les esprits africains, allait revenir hanter la conscience de l’Occident : la falsification consciente de l’histoire, afin de légitimer l’impérialisme et la traite négrière.

A cause de son ignorance, l’Occident « n’est pas encore entré dans l’Histoire » universelle…

Le forfait fut fort bien résumé par le comte de Volney, déjà au XIXe siècle, dans son livre de 1887 intitulé Voyage en Égypte et en Syrie (lequel est justement cité par Cheikh Anta Diop dans son ouvrage Civilisation ou Barbarie (1981) : « J’étais tenté de l’attribuer au climat, lorsque, ayant été visité le sphinx, son aspect me donna le mot de l’énigme. En voyant cette tête caractérisée nègre dans tous ses traits, je me rappelai ce passage remarquable d’Hérodote où il dit : « Pour moi, j’estime que les Colches sont une colonie des Égyptiens parce que, comme eux, ils ont la peau noire et les cheveux crépus. » Ou encore : « Ayant visité le sphinx et voyant cette tête caractérisée de nègre dans tous ses traits, il n’y avait aucun doute : les anciens Égyptiens étaient de vrais nègres de l’espèce de tous les naturels de l’Afrique. Il fallait donc se résoudre à « penser que cette race d’hommes noirs, aujourd’hui notre esclave et l’objet de nos mépris, est celle-là même à qui nous devons nos arts, nos sciences et jusqu’à l’usage de la parole. »

Tel est l’un des pires secrets les mieux gardés des élites occidentales jusqu’à aujourd’hui… à grands renforts d’ « experts » en mauvaise foi.

Mais pourquoi, m’objecterez-vous, parler de cela maintenant ? Parce que le chemin qui mènera l’humanité vers la paix, celui-là même qu’il est décisif d’enfourcher d’un bon pas aujourd’hui, passera par le dialogue des civilisations… et donc l’étude de l’histoire universelle. Rétablir la vérité sur l’histoire africaine fait partie des ardentes nécessités de notre époque.

Or à ce carrefour où nos grands destins se jouent, cette vérité est en train de se frayer non seulement une route en Afrique, mais un sentier en Occident. C’est ainsi que le musée du Louvre à Paris vient de consacrer, du 28 avril au 25 juillet 2022, une exposition sur le thème suivant : « Les pharaons des deux terres ». Elle retrace l’histoire des pharaons noirs de la 25e dynastie, au VIIIe siècle av. J.-C. Gros bémol toutefois : l’événement laissait entendre que ce règne des pharaons noirs ne fut qu’un épisode, un épiphénomène dans la longue histoire de l’Égypte pharaonique.

Mais il y a plus : non seulement les États-Unis s’y mettent, mais vont beaucoup plus loin. Certes, on pourrait imputer cela à la woke culture – dont le seul mérite est peut-être de déterrer les pépites du passé des peuples opprimés. Mais il y a aussi et surtout que les temps changent ; et que, comme on le dit à propos des égouts de Venise (qui, en tant qu’ancien empire, a aussi ses funestes et inavouables secrets) : les bulles nauséabondes finissent tôt ou tard par remonter à la surface. C’est ainsi que le Metropolitan Museum of New York (« Met ») consacre actuellement une exposition au titre audacieux : « Les origines africaines de la civilisation ». Dans la plaquette de présentation de l’exposition, on peut lire : « Les universitaires reconnaissent aujourd’hui que l’Afrique est la source de nos ancêtres communs. Mais en 1974, l’érudit et humaniste sénégalais Cheikh Anta Diop a choqué et mis au défi les historiens en affirmant l’influence des anciennes civilisations africaines dans son ouvrage révolutionnaire intitulé Antériorité des civilisations nègres : Mythe ou réalité ? Cette exposition rend hommage à Diop, en présentant des chefs-d’oeuvre de collections du musée provenant d’Afrique occidentale et centrale, aux côtés d’oeuvres d’art de l’Égypte ancienne, pour la première fois dans l’histoire du Met. »

Comble de la surprise, cerise sur le gâteau : le journal français L’Obs vient de publier, dans son édition du 8 septembre 2022, deux pages intitulées : « L’Afrique, un continent plein d’histoire ». L’article, signé François Reynaert, commence ainsi (non sans transpirer d’une condescendance à la française) : « Qui savait qu’aux XVe et XVIe siècles, on lisait, pensait, enseignait Aristote à Tombouctou ? Qui avait conscience que la grande déportation de millions d’esclaves par la traite atlantique, au moins dans ses débuts, réussit à prospérer non pas, comme on le croit trop, grâce à l’absence d’États forts en Afrique, mais au contraire parce qu’ils en existaient de puissants ? »

L’inculture de la société dite moderne n’a vraiment d’égal que son arrogance… Mais qu’importe s’ils écorchent la plume de celui qui les publie, les mots sont bien là.

Rendons toutefois justice à François Xavier-Fauvelle, archéologue et historien élu en 2018 à la première chaire consacrée à l’histoire de l’Afrique au collège de France, pour son livre Le Rhinocéros d’or, qui vient d’être réédité en ce mois de septembre (7). Non qu’il nous apprenne ce que nous savions déjà peu ou prou grâce à l’oeuvre de Cheikh Anta Diop, mais enfin, voici qu’on commence à libérer les Français de l’image d’Épinal d’une Afrique non éclairée, pauvre, vierge de toute civilisation, perpétuant le mythe rousseauiste du « bon sauvage ». Dans son livre, on découvre (!) que, oui, l’Afrique « a une histoire, tumultueuse, riche, avec ses civilisations et ses empires, qui sont nés, ont prospéré, sont morts, pour laisser place à d’autres royaumes, d’autres empires, d’autres formes d’organisations humaines ». Sortons-nous, enfin, de cette époque néocoloniale – celle-là même qui faisait encore dire dans les années 60 à l’universitaire britannique Hugh Trevor- Roper, qu’« en Afrique, il n’y a rien d’autre que l’histoire des européens » ?

Pour François Xavier-Fauvelle et Anne Lafont, auteurs de l’ouvrage tout juste paru L’Afrique et le monde : histoires renouées. De la préhistoire au 21e siècle (8) : « Cette idée d’une Afrique sans passé va de pair avec une autre : celle d’un continent qui, depuis la nuit des temps et jusqu’à la colonisation, serait resté isolé dans son ancestralité immuable, sans le moindre contact avec le reste de la planète jusqu’à ce qu’enfin il soit « découvert » par les valeureux explorateurs blancs du XIXe siècle. » Fallait-il donc attendre le XXIe siècle pour que l’on découvre que l’Afrique fut le berceau de l’Humanité ? « Humanité », au sens de ce qui fait de nous des êtres non pas simplement vivants, mais des être pensants, créatifs, créateurs…

Enfin, pour ceux et celles qui voudraient réellement découvrir l’histoire de l’Afrique noire pharaonique, nous vous conseillons l’excellent livre de Lisapo ya Kama : L’Afrique pharaonique, 3 500 ans d’apogée historique du monde noir, également tout juste paru (9). Un ouvrage passionnant, dédié bien sûr à Cheikh Anta Diop. Vous voyagerez dans le temps jusqu’à il y a 7 millions d’années pour rencontrer Toumaï, plus vieil hominidé connu à ce jour, montrant que nous sommes tous des Africains, n’en déplaise à « nos ancêtres les Gaulois ».

Vous découvrirez les premiers signes de comportement élaboré chez l’humain « moderne » entre -174 000 et -164 000 en Afrique du Sud, sur le site Pinnacle point, près de Mossel ; en d’autres termes, les premières manifestations de l’art et de la science. Vous apprendrez que le plus ancien témoignage de calcul numérique a été exhumé au Swaziland, en Afrique australe, et daté d’environ 35 000 ans av. JC. : il s’agit d’un péroné de babouin, portant 29 encoches nettement visibles. Enfin, le livre vous emmènera sur les traces des Nubiens, peuple situé dans l’actuel Soudan ? Ce sont eux qui sont à l’origine de la civilisation pharaonique. Vous suivrez Naré Mary, qui conquit le delta du Nil et l’unifia au nord de la Nubie, pour créer la première dynastie de l’Égypte unifiée, vers l’an 1 000 de l’ère africaine, soit vers 3 200 ans avant l’ère occidentale. Il était noir et fut le premier des pharaons. Enfin, remontant le temps des pharaons au fil des dynasties se succédant, vous rencontrerez Djoser, souverain de la 3e dynastie, accompagné de son premier ministre Imothep… l’un des plus grands savants noirs de l’époque et le père des pyramides. Et tant d’autres émerveillements encore…

Comme le disait Cheikh Anta Diop, dans Alerte sous les tropiques : « Le nègre ignore que ses ancêtres, qui se sont adaptés aux conditions matérielles de la vallée du Nil, sont les plus anciens guides de l’humanité dans la voie de la civilisation ; que ce sont eux qui ont créé les arts, la religion (en particulier le monothéisme) [sic !], la littérature, les premiers systèmes philosophiques, l’écriture, les sciences exactes (physique, mathématiques, mécanique, astronomie, calendrier, etc.), la médecine, l’architecture, l’agriculture, etc., à une époque où le reste de la Terre (Asie, Europe : Grèce, Rome…) était plongé dans la barbarie. »

Bonne année à tous …. la victoire est inévitable.

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