Le cas du Togo : Autopsie d’un cas pernicieux

Sébastien Périmony
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Le livre de Godwin Tété, publié dernièrement chez l’Harmattan, met au grand jour la décadence post-coloniale et post-industrielle qui règne sur l’ensemble du monde occidental depuis la fin des accords de Brettons Woods en 1971. Cette décadence a été marquée par le retour à une économie monétariste, de cartels, basée sur le pillage d’autrui et le pillage de son propre peuple, au détriment d’un développement mutuel organisé. La mort de Kennedy et le départ de De Gaulle ont signé la fin du rêve africain. Le rêve de Lumumba, de Sankara, de Modibo Keïta, de Sylvanus Olympio et de tant d’autres est devenu un cauchemar.

L’autopsie, comme Godwin Tété le précise, c’est « l’examen méticuleux d’un cadavre ». Cette autopsie, il la réalise sur son pays d’origine, le Togo, sans compromis. Il étudie la période 1963-2013 et montre l’échec des politiques mises en place depuis l’assassinat, le 13 janvier 1963, de Sylvanius Olympio [cf. Encadré], par les réseaux toujours existants de la Françafrique. C’est avec force qu’il dénonce alors la « monocratie du dictateur » Gnassingbé Eyadéma, qui a duré de 1967 à 2005, et qui été remplacée depuis par l’« oligarchie militaro-dictatoriale » de son fils, Faure Gnassingbé…

Cette période 1967-2013 est caractérisée par ce qu’il appelle, à la suite de Frank André Gunder, le « développement du sous-développement ».

Comment les peuples européens, américains, anglais ont pu à ce point fermer les yeux sur le sort du continent africain ? Comment avons-nous pu, nous qui parlons chaque jour de démocratie, de liberté, de droit, à ce point laisser faire ça ? C’est la question qui émerge à la lecture de cette autopsie du Togo. Peut-être qu’aujourd’hui, avec l’effondrement du système financier occidental, les politiques d’austérité de la Troïka (FMI, UE, BCE) mises en place à Chypre, en Grèce, au Portugal, en France et ailleurs, vont permettre de faire comprendre au peuple européen que cette oligarchie financière de la City de Londres et de Wall Street n’a pas de limite dans sa volonté de soumission des peuples à une économie de la destruction. Le développement du sous-développement est désormais devenu une politique mondiale.


Il ne faut surtout pas que l’Homme lui-même s’arme pour écraser l’Homme. En somme, l’Humanité se doit d’éviter, à tout prix, que l’Homme ne soit un loup pour l’Homme. Car, autrement, cela reviendrait à cantonner, ad vitam aeternam, l’Humanité dans l’animalité. Encore que les loups, pour autant que je sache, ne se dévorent pas entre eux. » nous dit Godwin Tété.

Comme il nous le démontre brutalement, depuis 1967, le Togo est dirigé par une politique népotique, sans séparation des pouvoirs : exécutif, législatif, judiciaire et médiatique sont tous tenus par un homme. L’armée est le bras armé, sur le terrain, pour organiser la terreur et la peur. Les arrestations sont arbitraires, sans motif et sans limite dans le temps !

L’assassinat politique est une règle de base du gouvernement, et l’élection synonyme de coup d’état …

Par ces décennies de terreur, c’est la culture ancestrale même qui a été détruite. Comme Godwin Tété nous l’explique, les chefs traditionnels, qui étaient les gardiens des connaissances, des valeurs, de l’Histoire, n’ont plus de traditionnel que le ventre. Il sont devenus « des êtres vassalisés, des lions édentés, émasculés. »

Nous le savons, les dictateurs africains viennent se faire soigner dans les meilleurs hôpitaux de Genève ou de Paris, l’affaire des biens mal acquis a démontré très clairement la fuite des capitaux des pays africains vers l’Europe. Alors que sur place, au Togo, même la césarienne est cause de nombreux décès : 510 sur 100 000 femmes en couche.

Une partie intéressante de l’ouvrage est consacrée à la décadence culturelle du peuple togolais.


Le Togolais que mon enfance et ma jeunesse ont connu est un être très pudique. Il répugne à exhiber ses misères. Il ne mendie surtout point ! Mais, à l’heure où je trace ces lignes-ci, le Togolais relevant des communs des mortels peut allègrement, tranquillement mendier. Il en est ainsi parce que le Togolais lambda a été, entre-temps, de facto, placé dans des conditions concrètes d’existence d’un mendiant !!!

A cette culture de la mendicité, inconnue dans l’Afrique pré-coloniale, qui était la terre de la Teranga, s’ajoutent les corruptions en tout genre et à tous les niveaux. Et alors, qu’ « aux heures de [son] enfance, le vol d’un poulet était un événement rarissime et gravissime », le banditisme à main armée est devenu omniprésent. Enfin s’ajoutent la prostitution, la consommation de drogue généralisée, l’abandon de nouveaux-nés et une clochardisation massive.

Comme Godwin Tété le préconise, il faut, au cœur de cette tragédie, organiser une« montée en humanité ». Un problème bien posé est à moitié résolu ! Dans le dernier chapitre de son livre, il appelle, il crie : « De l’éducation ! de l’éducation ! de l’éducation ! »

Cette revue de livre a pour but de vous faire agir politiquement, en faisant face à la réalité, qu’elle soit grecque ou togolaise. Mais je me dois, toutefois, de souligner la méprise de M. Tété quant à la politique d’Obama, qui n’est que le relais des intérêts financiers anglo-américains. Ainsi le discours du Président américain, intitulé« L’avenir de l’Afrique appartient aux africains » et prononcé au Ghana en 2009, est une supercherie.

Aujourd’hui en Afrique, les États-Unis dépensent des milliards de dollars pour y développer des bases militaires pour leurs drones (AFRICOM) au lieu d’investir dans des projets infrastructurels permettant aux peuples africains de « montée en humanité », comme le projet Transaqua.

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La seule possibilité pour sortir le Togo de l’enfer, c’est de revenir sur les 30 dernières années de globalisation, par une annulation pure et simple de la dette financière créée par le FMI et la banque mondiale sans développement infrastructurel : il faut un gel de la dette publique et le lancement d’une politique de reconstruction à long terme et à plus grande échelle. C’est dans ce contexte que le projet Africarail – projet de 2000 kilomètres de voies ferrées pour relier le Burkina, le Sénégal, le Niger, le Bénin et le Togo et dont le coût n’est estimé qu’à 2 milliards de dollars – , doit être considéré comme une priorité absolue pour les 10 prochaines années.

Ce projet permettra de désenclaver l’ensemble du Togo car la ligne de chemin de fer passerait du nord au sud du pays. Ce projet augmenterait également les échanges entre pays africains, extrêmement limités à ce jour (5% du PIB pour toute l’Afrique subsaharienne), de par le peu de moyens de communications. La France doit soutenir et participer à ce projet pour que les paroles de l’abbé Grégoire, abolitionniste acharné, qui déclarait aux révolutionnaires de l’Assemblée française en 1791 qu’« il y avait toujours une aristocratie, celle de la couleur de la peau » ne laissent plus un goût amère quand nous les entendons. Le combat de Jacques Cheminade en France est une opportunité unique pour arrêter la politique française de pillage en Afrique et redonner au citoyens français la fierté de participer au développement du monde… En arrêtant la globalisation, ce nouvel impérialisme.

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