Comores: la France contribuera-t-elle à apaiser la crise?

Elle vient de tomber lundi 1e avril, plus d’une semaine après le scrutin présidentiel plus que contesté aux Comores. La voix du pays des droits de l’homme sur la crise comorienne était plus qu’attendue. Et ce d’autant que les Comores sont une ancienne colonie française et qu’elles sont voisines de Mayotte, département français. Point sur le situation vue du terrain et sur la relation plus qu’ambigüe qu’entretient la France dans la région Mayotte-Comores.

D’une fraude électorale, la crise dans l’archipel comorien au large de Madagascar avait fini en bain de sang. Au point qu’il était devenu de plus en plus difficile d’en prévoir l’issue. Les ambassades elles-mêmes ont commencé à fermer.

Nous tenons avant tout à relever le décalage très préoccupant que nous avons pu constater entre les chiffres officiels relatés par la presse internationale (trois décès parmi les militaires) et les chiffres estimés par des sources sur place, suite à des informations recueillies par les familles des uns et des autres : entre 10 et 30 morts en tout, parmi lesquels de nombreux civils !

Voici l’essentiel du communiqué rendu officiel par l’ambassade et le ministère français des Affaires étrangères:

 » La France est attentive à la situation qui prévaut aux Comores depuis les scrutins du 24 mars. Elle déplore les violences et les tensions qui ont été constatées le jour du scrutin et les jours suivant la proclamation des résultats provisoires par la Commission électorale nationale indépendante, sur lesquels la Cour suprême doit se prononcer d’ici le 3 avril. »  » La France a pris note de la déclaration conjointe des missions d’observation électorale africaines de l’Union africaine, du marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA) et de l’Eastern Africa Standby Force (EASF), qui regrettait les tensions et les dysfonctionnements observés le 24 mars qui ne leur ont pas permis de se prononcer « de façon objective sur la transparence et la crédibilité du scrutin ». La France, comme le Président de la commission de l’UA, invite les autorités comoriennes, ainsi que l’ensemble des autres acteurs politiques, à faire preuve de la plus grande retenue et à régler leur différend par un dialogue inclusif. La France salue la disponibilité de l’Union africaine à jouer un rôle pour aider les parties comoriennes à trouver une solution à la situation. »

Entre temps la Cour suprême a rendu son verdict, confirmant les résultats contestés, bien qu’avec un point de moins pour le président sortant et 16600 bulletins annulés. L’opposition ne compte pas en rester là et le pouvoir ne compte pas laisser faire l’oppostion. La situation reste donc très tendue.

Que s’est-il passé?

Le 24 mars, le colonel Azali Assoumani a été déclaré réélu à la tête de l’Union de Comores, avec 60,77 % des voix (selon la Commission électorale officielle — CENI). Arrivé au pouvoir lors d’un putsch en 1999, il a été élu président en 2002 puis réélu en 2016. Les élections présidentielles de cette année (qui auraient dû se dérouler en 2021 au profit des Anjouanais) ont été anticipées, notamment à la faveur d’un changement de constitution par Azali lui-même. Un changement qui a par ailleurs permis au chef de l’État de mettre fin au principe de présidence tournante par île que prévoyait le système fédéral de l’archipel et donc de se maintenir au pouvoir.

Un résultat contesté par une partie de la société civile comorienne et qualifié de « hold-up électoral » par les candidats de l’opposition, qui se sont coalisés pour former un Conseil national de transition (non reconnu par le pouvoir en place). Et pour cause : le jour de l’élection, de nombreux témoignages portant sur des cas de bourrages d’urnes ont été relevés, la présence d’assesseurs non accrédités, l’exclusion de censeurs, etc. Mais aussi et surtout: l’intervention de l’armée comorienne venue semer le trouble et saccager des bureaux de vote, emporter les urnes et plus grave encore : tirer sur les citoyens, faisant au moins cinq blessés.

Suite à ces premiers événements tragiques, la coalition de l’opposition a appelé la population à manifester puis à se réunir lors d’une conférence de presse sur l’île de Grande Comore. A ce moment, la venue de l’armée pour contrôler le rassemblement, conjuguée à des échaufourrées, a donné lieu à un affrontement entre militaires à balles réelles. Trois militaires auraient trouvé la mort, ainsi qu’une vingtaine d’autres civils présents dans la foule, selon certaines sources. Une haute personnalité de l’opposition, le colonel Soilihi Mohamed (dit «Campagnard»), aurait été capturé à cette occasion par l’armée, le lieu et les conditions de sa détention étant toujours tenus secrets. 

Un second rassemblement de l’opposition sur l’île d’Anjouan aurait également, dans des circonstances similaires, fait huit morts, dont trois militaires et cinq civils, toujours selon certaines sources sur place, ayant tenté péniblement de croiser les témoignages.

La France et son rôle ambigü aux Comores

Des faits que conteste le pouvoir Azali. Sur place, on attend toujours les réactions de la France après celles, bien que tempérées, de l’Union africaine.

Le gouvernement Macron s’était pourtant fortement intéressé aux Comores dès son arrivée au pouvoir, s’étant empressé de négocier une feuille de route avec Moroni, sans en aviser le département français Mayotte – pourtant premier concerné, puisque accueillant les nombreux migrants comoriens dans des conditions de plus en plus tendues et de plus en plus graves sur le plan humanitaire.

Le président Macron s’apprête à venir en juin dans la région, notamment à la Réunion, à Mayotte et aux Comores. Dans ce contexte, ce n’est pas uniquement les Comoriens mais également les Mahorais qui sont inquiets de leur sort. En effet l’absence de réaction diplomatique claire de la France à l’égard du scrutin comorien pourrait largement renforcer les soupçons sur des manœuvres françaises pour se ménager le pouvoir Azali envers et contre Mayotte ; et ce en prévision d’un contrôle sur les hydrocarbures récemment découverts dans la région. L’actuel silence du colonel Azali suite à un séjour sans nouvelles à Anjouan et Moheli n’est pas non plus de nature à calmer la tension, l’histoire houleuse nous enseignant que de potentielles exfiltrations présidentielles par les autorités françaises ne sont pas impossibles en de telles circonstances.

Encore une fois, le pouvoir français à un choix décisif à faire: calmer ou attiser les braises.

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