Que m’est-il permis d’espérer

Invité à l’avant-première du film « Que m’est-il permis d’espérer » au Forum des images le 14 mars dernier, j’ai pu réaliser un interview des deux réalisateurs, Vincent Gaullier et Raphaël Girardot. Le voici. Le film sortira le 30 mars et nous vous invitons à aller le voir et à le faire connaître.

Bonjour M. Vincent Gaullier et Raphaël Girardot. Vous êtes donc les réalisateurs du film « Que m’est-il permis d’espérer  » qui sortira le 30 Mars prochain. D’abord pourriez commencer par vous présenter à nos lecteurs ?

Nous travaillons ensemble depuis 20 ans maintenant. Une coréalisation donc, avec Raphaël à l’image et Vincent au son, qui a commencé avec un film Le lait sur le feu, sur le monde paysan. Un documentaire politique déjà, filmé du point d’un éleveur laitier : il veut quitter le métier de paysan après avoir vu son troupeau détruit à cause d’un cas de vache folle. Il nous disait souvent « avant on nourrissait les gens, aujourd’hui on enrichit l’agroalimentaire ». « Que m’est-il permis d’espérer » est notre 5è film ensemble.

Comment vous est venu l’idée de ce film et où nos lecteurs pourront le voir prochainement ?

Ce projet de film nous l’avions depuis longtemps en tête mais il s’est décidé décidé à l’été 2016. Plus de 4000 migrants se trouvent alors dans les rues de Paris. Une grande partie d’entre eux est amassée face aux bureaux de France Terre d’Asile, où ils sont censés s’inscrire avant de pouvoir déposer leur demande d’asile. Ils attendent leur tour, dans des tentes, pendant des jours et des jours. L’État qui a en charge l’accueil de ces réfugiés – c’est sa responsabilité au nom des lois internationales – ne bouge pas. Il laisse s’installer des zones de précarité effroyable, nécessitant finalement une intervention humanitaire des associations.

Pour nous la situation est insoutenable. Aussi quand à quelques centaines de mètres de là, à la Porte de la Chapelle, un centre de premier accueil est mis en place par la Mairie de Paris afin de les accueillir et pallier les carences de l’Etat, on se dit qu’il faut documenter cette expérience.

« Que m’est permis d’espérer » sera visible sur Paris, au cinéma le Saint André des Arts ( http://cinesaintandre.fr/ ) avec un cycle de projection/débats.

Alors disons les choses franchement, votre film est dur, il montre la souffrance des migrants dans tout ses aspects, le froid et la faim, les nuits dehors dans les rues de Paris. L’accueil au centre de Porte la Chapelle, et les contraintes administratives très difficiles pour des hommes et des femmes qui souvent parlent peu le français. Vous avez été au coeur de cette souffrance, pouvez vous nous en dire un peu plus sur votre ressenti ?

Installés dans le camp pendant les 18 mois de son existence, nous avons rencontré de nombreux hommes – les femmes, les familles étaient hébergées dans un autre camp, à Ivry sur Seine-. Avec tous ceux qui nous donnaient leur accord d’être filmés, nous sommes restés collés pendant la petite dizaine de jours qu’ils passaient là, transpercés par leurs regards pleins d’espoir. Beaucoup d’humanité s’en dégageait.

Nous avons filmé leur premier entretien où les traces de la rue sont encore visibles, puis les retrouvailles heureuses avec leurs compatriotes, le passage obligé au Samu Social pour partager leurs problèmes physiques ou psychiques, jusqu’à leur chambre où enfin ils pouvaient se reposer et se raconter (les raisons de leur exil, les atrocités du voyage, leur désir d’avenir en France).

Après ces quelques jours de répit, nous les avons aussi filmés à la préfecture, là où se déroule la prise d’empreintes et où les réfugiés apprennent le sort qui leur est réservé. L’ambiance y est terriblement différente. C’est froid, glacé même, que ce soit dans le décor ou dans les propos. C’est là que ces hommes se prennent le non-accueil mis en place par l’Etat. Tout faire pour les décourager, pour ne pas les écouter. Nous avons assisté à des dénis de justice où l’on refuse de traduire des documents qui pourtant leur feraient tout de suite entrer dans le processus de la demande d’asile. Ils finissent au contraire sur une voie de garage où ils vont attendre des mois.

Il faut raconter cette histoire de l’accueil ou du « non accueil », comme le dit Bruno Morel, directeur d’Emmaus solidarité – c’est cette ONG qui a géré ce camp. Parce que c’est bien ça la réalité dont on veut témoigner après les dizaines de journée passé dans ce centre : il n’y pas de crise des migrants, il y a une crise de l’accueil.

Youssef, Zerbo, Obahullai, Alhassan, Djibrill, Guyot, Salomon, Johnson, Pavel… tous ont vécu là le scandale de ce non-accueil français. Par notre place face à eux tout au long de ces tournages, à la recherche de cette identité que nous leur demandons de revendiquer, assumant ces regards désespérés, nous avons souhaité créer un lien d’empathie. Nous voulons que le spectateur s’attache à chacun d’entre eux, et que s’efface la masse, qu’il les rencontre par leur singularité – leur métier, leur famille, leur souffrance. Réveiller l’humanité de chacun et souligner l’inhumanité de l’accueil de la République.

Il y a dans votre film le récit des horreurs que vivent les migrants le long de leurs parcours pour arriver en Europe. En particulier le traitement de ces migrants en Libye, emprisonnés, torturés, vendus au plus offrant sur des marchés d’esclaves. Cet homme qui a quitté sa fille à l’âge de 6 mois et qui doit en avoir 7 au moment où vous réalisez ce film. La France a une grande responsabilité quant à la situation libyenne. Avez-vous un commentaire à faire à ce sujet ?

Non pas vraiment, surtout que ce qui nous occupe avant tout dans notre film ce sont les migrants. Le Libye est un enfer. Mais le non accueil de l’Espagne dans ses enclaves en Afriques, et les violences en Hongrie ou ailleurs sont terribles aussi. Aucune route migratoire n’est simple.

Vous parlez de 40 000 exilés entre novembre 2016 et Mars 2018 qui sont passés par ce centre de Porte de la Chapelle et mentionné à la fin de votre film « la non ingérence » de la préfecture qui a contraint Emmaüs a fermé ce centre. Qu’entendez-vous par « non ingérence » de la préfecture ?

Il était prévu que le Centre ferme en mars 2018. Mais il pouvait rouvrir ailleurs, sauf que l’Etat voulait installer les bureaux de la préfecture de police dans ce futur centre. Là où les empreintes sont prises, là où se lance la recherche quant à la situation administrative… Et donc la possibilité d’avoir des policiers qui peuvent intervenir. Cela aurait changé radicalement la nature de ce « centre de premier accueil ». Pour les ONG ce n’était pas acceptable.

En 2017, Jacques Cheminade dans son programme présidentielle proposait de donner un signe fort en créant un grand ministère de la Coopération, du Co-développement et de l’Intégration, pour réunir et intégrer les deux aspects d’une même politique : l’impératif de développement des pays d’émigration et celui d’une gestion juste et prospective de l’immigration. Il déclarait alors que « Résoudre le « problème de l’immigration », c’est donc traiter d’abord celui de l’émigration. Cela implique de jeter la Françafrique à la rivière, avec ses mallettes, ses valises, ses cassettes et ses licornes, et de fournir aux pays africains les moyens de leur indépendance et de leur développement réel lancer de grands projets infrastructurels à une échelle panafricaine » Quel votre analyse de cette approche ?

Une partie des migrants quitte leur pays pour fuir une situation de guerre, de violence ethniques, religieuses ou parce que leurs préférence amoureuses et sexuelles ne sont pas acceptés (mariage forcés ou homosexualité) – comment un tel ministère pourrait intervenir ici ? L’autre partie quittent parce que la situation économique du pays ne peut leur offrir un avenir. Est-ce que ce ministère pourrait inverser le mouvement ?

Cette question du développement est une question complexe, où l’on reproduit facilement les travers de la colonialisme et de l’impérialisme économique. Nous ne sommes pas des spécialistes. Ce qu’on voit par contre c’est qu’au Sénégal, une ligne de train a été construite, la ligne est en partie privée, le groupe Bolloré gère cette ligne, l’Etat ne s’y retrouve pas, je ne suis pas certain que cela profite aux Sénégalais, au-delà du transport.

Question complexe aussi quand on lit ces jours derniers les propos du patron de la Banque de France : il déclarait que si on ne réglait le problème du manque de main d’?uvre, on n’arriverait pas à se sortir de la crise. A réussir notamment la transition écologique qui nécessite tant d’effort et doit se faire sans tarder. Pour rappel : un tiers de l’argent du développement dans ces pays vient des migrants eux-même :

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